Madame la Directrice générale,
Mesdames et messieurs les membres de l’instance collégiale,
Chers collègues,
Il y a cinq ans, cette instance collégiale n’existait pas.
Il y a cinq ans, l’activité du comité de sélection était suspendue et ne reprendrait qu’en juin 2020.
Il y a cinq ans, tout cela était sans importance, tant nous étions mobilisés par la pandémie COVID-19.
Ad memoriam, pro futuro
Cinq ans après il faut encore saluer le souvenir des collègues et de tous les professionnels de santé qui, par leur présence au travail, ont été frappés par l’épidémie.
C’est aussi l’occasion de saluer le travail réalisé par l’Institut COVID-19 Ad memoriam, pour se souvenir et préparer les prochaines crises.
Car c’est bien l’enjeu. L’oubli sera l’ennemi de notre avenir commun.
Malheureusement, il semble que les recherches sur le vaccin contre la mémoire courte soient interrompues. Alors, il nous reste la prévention.
Autorisez-nous tout d’abord à prescrire la relecture de quelques discours fort inspirés des mois de mars et avril 2020, tenus par le Président de la République, le Premier ministre ou le ministre de la santé. Au-delà de leur tonalité tantôt guerrière, tantôt franchement anticapitaliste, on trouvait le mea culpa et la promesse.
Le mea culpa sur notre système de santé : on avait trop tiré sur la corde, on avait « désarmé » l’hôpital, « désarmé » la médecine de ville. On avait « sans doute » fermé trop de lits, négligé la crise des ressources humaines déjà présente.
La promesse du plus jamais ça, d’une refondation de notre système de santé.
Nous n’aurons pas le temps dans cette instance de faire la balance des changements réalisés et des promesses non tenues.
Contre la mémoire courte
Mais il s’agit de continuer la prévention contre la mémoire courte et d’alerter sur quelques éléments d’actualité qui influencent les conditions dans lesquelles nos collègues accèdent ou exercent à la direction des établissements.
Le premier reste la situation financière extrêmement dégradée pour la grande majorité des établissements. Il ne s’agit pas d’ignorer le déficit réel de l’assurance maladie, il s’agit de dire qu’il est en fait minoré par une succession de non-financements qui ne sont, ni plus ni moins, qu’un transfert de charge sur les établissements.
Comment, dans un tel contexte, se réjouir d’une revalorisation de 0,5% des tarifs qui fait fi du handicap cumulé ? Comment admettre, dans un tel contexte, une véritable anesthésie du discours public sur la situation financière des établissements.
Imagine-t-on comment serait affrontée une nouvelle crise par tous ces établissements qui n’ont plus un euro en caisse ?
Récemment, devant un parterre de directeurs, le ministre de la santé excluait toute « politique de restriction » tout en les invitant à « s’interroger en permanence sur les marges d’efficience ». Tout cela est du miel en comparaison du discours bien plus acide des ARS aux mêmes chefs d’établissements : il est vrai que ces dernières voient de plus près se creuser les multiples ornières de trésorerie, en regard de la limitation de leurs moyens d’intervention.
En découlent la multiplication des plans de retour à l’équilibre qui ne disent plus leur nom, les audits et les recommandations qui ébahissent par leur caractère innovant : fermetures de lits, réduction des équipes, réduction des temps de pause, remise en cause des accords temps de travail. Voilà qui ressemblerait fort à une amnésie à la fois rétrograde et antérograde.
Il avait pourtant bien été démontré que le culte de la performance à outrance avait fragilisé le système de santé, aux antipodes des nécessités d’un service public robuste, en capacité de s’adapter aux crises.
Mentionnons aussi un autre symptôme de trouble de la mémoire : le ministre de la fonction publique s’est récemment ému qu’il y ait « beaucoup trop de fonctionnaires qui sont mal payés ». Peut-être avait-il oublié qu’il venait de geler la valeur du point, d’annuler la garantie individuelle du pouvoir d’achat et de geler de multiples dossiers statutaires. Ici on parlera plutôt de problème au niveau de la mémoire à court terme.
Pour l’égalité des territoires
Dans un autre lieu, à l’Assemblée Nationale, commençait hier l’examen en séance publique d’une proposition de loi transpartisane pour lutter contre les déserts médicaux. Elle vise à :
- Instaurer une régulation de l’installation pour les médecins dans les zones sur-dotées
- Supprimer la majoration de la participation de l’assuré social en cas d’impossibilité de désigner un médecin traitant
- Territorialiser les études de santé
- Rétablir une permanence obligatoire de soins ambulatoires.
A une modeste échelle, cette proposition, qui en est au moins à sa quatrième tentative, pose crûment la question des inégalités territoriales, et du « désarmement » de la médecine générale en ville, tellement soulignée lors de la crise CoVID.
Mais tout cela c’est sans doute du passé, puisque nous avons vu à l’occasion de ce débat fleurir tous les arguments dilatoires, à coup de « oui mais » et de poncifs tels que « bonne question, mauvaise réponse ». L’argument définitif étant qu’il ne sert à rien de réguler puisque la pénurie est générale, ce qu’il faut c’est former plus. Certes, mais dans ce cas, pourquoi ces opposants à la régulation commencent-ils à expliquer que nous formons déjà trop de médecins ?
Décidément, le lobby malthusien n’a rien appris de la crise.
Pour le collectif
Pour notre part, nous sommes convaincus que les directeurs sont prêts à relever le défi de leur « grand rôle d’interface avec le territoire ». Pour cela, il faut retrouver l’esprit du jeu collectif qui a fait ses preuves pendant la crise, le collectif territorial, le collectif de l’équipe de direction, le collectif de la gouvernance.
Le collectif, ce n’est pas de cartonner tel chef d’établissement ou tel adjoint, au nom du « je ne veux voir qu’une seule tête », le collectif c’est la diversité et l’initiative, c’est même la contradiction pour aboutir à la synthèse de l’intérêt général.