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Consultez les résultats de notre enquête 2022 sur le droit à la déconnexion

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Progressivement, le numérique occupe une place de plus en plus importante dans les pratiques professionnelles.

Que ce soit pour l’organisation, l’information, le suivi d’un projet, les salariés et les cadres en particulier restent bien souvent connectés après leurs heures de travail, le weekend et durant leurs congés.

La frontière entre la vie professionnelle et la vie privée tend à disparaitre petit à petit.

Pour nous cadres hospitaliers, cette porosité est sans doute accentuée par la culture du H24/365 jours par an et par les exigences de la permanence de direction. De manière implicite, elle peut conduire à l’idée que le chef d’établissement est toujours forcément joignable, idée étendue aux membres de l’équipe de direction solidaires du collègue « patron ».

Cet enjeu de permanence contribue effectivement à rendre plus invisible la frontière travail-repos ; pour autant le franchissement excède largement les seules questions urgentes liées à la garde, et il est facilité par la connexion ininterrompue.

La crise sanitaire a été un moment de forte mobilisation qui a bien évidemment fait plus que grignoter sur le temps personnel : sentiment de garde permanente, densification du travail à distance, facilité accordée aux réunions improvisées à horaires extrêmes…L’impression est forcément rude pour les collègues qui découvrent le métier dans un tel contexte.

Culture symbolique et attributs du pouvoir ont une part non négligeable dans les mécanismes d’hyperconnexion des cadres. Les neuropsychologues ont bien analysé les mécanismes de récompense à l’œuvre dans les « like » des réseaux sociaux. Difficile de ne pas faire le lien avec le sentiment d’importance du dirigeant sollicité en pleine réunion barbante ou en pleine fête de famille…

A l’opposé, certains n’ont jamais gouté ce plaisir narcissique, ou bien s’en sont lassés. Mais le fardeau de la connexion permanente leur paraît inévitable, c’est la loi de l’honneur du cadre ; alors parler à ces collègues de droit à la déconnexion, n’est-ce pas leur imposer en plus un sentiment de culpabilité de ne pas y arriver ?

En aucun cas, le principe de l’autonomie du cadre dans son organisation de travail est constitutif de son statut. Il ne s’agit nullement d’imposer un nouveau conformisme, ou une nouvelle injonction contradictoire.

En revanche, il ne faut pas se laisser prendre par une vision purement individualiste de la connexion et de la déconnexion. Organisation collective et pratique personnelle interagissent forcément. Or en tant que cadres dirigeants, nous sommes garants du droit à la déconnexion de nos collègues et collaborateurs (cf. infra) ; nous devons donc être conscients des enjeux et l’admettre comme une composante désormais importante des politiques de protection de la santé des salariés.

L’hyperconnexion est admise comme un facteur de fatigue, de stress, pouvant conduire au burnout. Il ne s’agit pas, comme on veut souvent le croire, de simples révélateurs de faiblesses individuelles, mais aussi du produit de certaines organisations.

De là, notre responsabilité dans la protection des autres est réelle, ce qui devrait aussi nous conduire à nous protéger nous-mêmes. Notre valeur consiste plus à bien organiser la solidarité d’équipe qu’à porter tout le fardeau…

A l’inverse, l’hyperconnexion est aussi analysée comme un facteur contre-productif, multipliant les interruptions de tâches, diminuant la faculté de concentration. C’est ainsi que, même dans le périmètre du temps de travail, certaines structures mettent en place des mesures de limitation des usages numériques.

Le cadre juridique

La notion de droit à la déconnexion a pris une consistance juridique avec son inscription dans le code du travail au 1er janvier 2017.

L’Article L2242-17, inscrit au 7° ce droit dans la liste des sujets de la négociation annuelle obligatoire dans les entreprises :

« Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale.

À défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques ».

Il y a donc non seulement inscription d’une régulation de la connexion dans un accord d’entreprise ou une charte mais aussi mise en œuvre d’action positives de formation.

Et dans la fonction publique ?

Le gouvernement a refusé en 2019 d’introduire ce droit dans la loi TFP. La question revient sur le devant de la scène lors de la négociation de l’accord relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique. Celui-ci est signé par Force Ouvrière le 13 juillet 2021 et son chapitre 5 porte sur le temps de travail, la charge de travail et le droit à la déconnexion :

« Les signataires du présent accord consacrent ce droit à la déconnexion, qui doit faire l’objet d’un accord à tous les niveaux pertinents pour garantir son effectivité. »

Le relais est ensuite pris par le décret n° 2021-1570 du 3 décembre 2021 relatif aux CSE et à leur formation spécialisée. Dans son article 53, il est précisé :

« La formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, examine les questions relatives à la protection de la santé physique et mentale, à l’hygiène, à la sécurité des agents dans leur travail, à l’organisation du travail, au télétravail, aux enjeux liés à la déconnexion et aux dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, à l’amélioration des conditions de travail et aux prescriptions légales y afférentes. »

Lors de l’examen du projet de décret réformant le Comité consultatif national des directeurs, le CHFO a été la seule organisation proposant des amendements pour élargir et préciser le champ de compétence du CCN et de sa nouvelle formation spécialisée, en particulier sur le droit à la déconnexion. L’administration a rejeté notre amendement sur ce point, sous le motif fallacieux de ne pas rigidifier le dialogue social et que cela était déjà possible. Bien sûr nous prendrons au mot et demanderons des preuves. Nous considérons qu’il est de notre responsabilité de proposer, d’informer et de former sur ce droit, dans une logique de prévention et de santé globale.