Le projet d’arrêté relatif au diplôme d’État d’infirmier, ouvre une nouvelle ère pour la formation en soins infirmiers. Une gouvernance dite tripartite — universités, régions, IFSI — se met en place, au nom de la co-responsabilité et de la convergence entre formation professionnelle et enseignement supérieur.
Sur le papier, le discours est séduisant : dépasser les cloisonnements, renforcer la qualité de la formation académique, garantir la cohérence territoriale à l’échelle du territoire universitaire.
Mais derrière cette ambition, une question centrale demeure : quelle place réelle pour les établissements de santé et les IFSI dans ce nouveau modèle ?
En voulant rapprocher la formation du monde universitaire, le projet éloigne dangereusement celle-ci de son ancrage professionnel et hospitalier. Les établissements de santé, pourtant partenaires historiques, terrains d’apprentissage et garants de la professionnalisation, disparaissent purement et simplement de la gouvernance du dispositif.
Absents des conventions de groupement, ils n’ont plus de voix dans la définition des orientations, la validation des parcours ou la régulation des stages. Cette exclusion est lourde de conséquences : comment former des soignants sans associer ceux qui les accueillent, les encadrent et les accompagnent au quotidien ?
D’un côté, une formation académique validée et pilotée par l’université ; de l’autre, une formation clinique dépendante d’établissements relégués au rang d’exécutants.
Sciences infirmières vs Soins infirmiers ?
Cette dissociation menace l’équilibre même du modèle infirmier français, fondé sur l’articulation entre théorie et pratique, entre savoirs scientifiques et compétences professionnelles. Les IFSI et les établissements de santé ne sont pas des prestataires d’exécution, mais les piliers de la formation infirmière. Depuis des décennies, les instituts de formation en soins infirmiers portent, avec constance et expertise, la formation professionnelle au plus près des réalités du terrain. Ce sont eux qui, dans chaque région, ont su concilier exigence pédagogique, encadrement clinique et accompagnement humain des étudiants. Ils sont les médiateurs indispensables entre le savoir académique et la réalité des soins, entre la logique universitaire et la culture du soin.
Les exclure du pilotage serait rompre le lien organique entre la connaissance et la pratique, entre le savoir et le soin. Cette projection constituerait un affaiblissement majeur de la réforme et priverait le dispositif de formation de l’un des des rares espaces où se tisse encore la culture professionnelle.
Cette réforme doit s’accompagner de garanties claires : reconnaissance ne doit pas signifier subordination.
Le CHFO a saisi la Ministre de la santé et son administration : notre alerte porte sur trois points essentiels de clarification, sans lesquels le nouveau référentiel est voué à l’échec :
- Le refus d’une gouvernance déséquilibrée qui écarte les acteurs actuels de la formation et éloigne du terrain.
- La nécessité d’une réforme chiffrée et financée en coordination avec les Régions et l’Etat.
- La tenue des engagements sur l’évolution du statut des directeurs des soins et cadres formateurs, sans quoi toute idée de projet hospitalier et universitaire est illusoire.
Le projet d’arrêté risque de créer une dichotomie profonde entre deux mondes qui devraient travailler ensemble : celui du savoir et celui du soin.
Plus grave encore, cette transformation structurelle pourrait avoir des effets directs sur la capacité du système à former et à diplômer des infirmiers en nombre suffisant.
Le temps d’adaptation, les lourdeurs administratives, la complexification des circuits décisionnels et la démotivation des formateurs confrontés à un manque de reconnaissance pourraient se traduire, dans trois ans, par une baisse significative du nombre de diplômés.
Or, dans un contexte de tension extrême sur les effectifs soignants, cette perspective est tout simplement impensable.